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« Toile, coupe et canevas en morphonologie fenno-same » (2011)

5èmes Journée d’études en linguistique finno-ougrienne, Paris 3 CIEH & CIEFi, 6 mai 2011, Cahiers d’Etudes Hongroises 2012, n° 18, pp. 69-88

Un phénomène d’ajustement morphonologique traverse les systèmes flexionnels des langues fenno-same : l’alternance de qualité ou de quantité consonantique conditionnées par une coda (consonne finale de syllabe) suffixale (finnois katto : katon ; tapa : tavan Nom. Sg. : Gén. Sg. « toit », « manière, coutume »). Cette caractéristique, qui relève de la gradation des séquences syllabiques sur l’échelle de sonorité peut se décrire comme une contrainte de syllabation *Attaque Fortis Rad.{ _Coda}. Elle constitue un fait typologique transversal à l’ensemble des langues de ce sous-groupe, qu’il conviendrait de mettre en perspective avec d’autres phénomènes analogues – probablement davantage par convergence que par héritage – dans d’autres sous-familles ouraliennes, comme dans les langues samoyèdes, ou avec des phénomènes divergents ailleurs en ouralien, où cette contrainte est inopérante (par ex. en mordve). Afin d’envisager une telle comparaison typologique interne, il convient d’abord d’étudier à la lumière des phonologies modernes les différentes formes que prend cette contrainte en fenno-same. Or, il se trouve que si cette contrainte *Attaque Fortis Rad.{_Coda}rend compte sur le plan diachronique de la gradation consonantique flexionnelle de ces langues, il n’en reste pas moins que nombre d’entre elles ont transformé celle-ci en d’autres formes, en faisant jouer des paramètres typologiques secondaires ou concurrents. Autrement dit, cette contrainte n’a cessé d’être réformée et réagencée par les systèmes flexionnels de langues comme l’estonien, le vote, le live ou les variétés de same. Certaines langues, comme le vepse, semblent ne pas avoir connu cette contrainte, ou l’avoir neutralisée. D’autres, comme l’estonien ou le vote, ont entièrement aménagé leurs paradigmes en fonction de cette contrainte ou de procédés analogues.

En comparant les paradigmes de la flexion nominale du live, du vepse, du vote et du same, nous montrerons comment ces langues ont réaménagé (ou contourné) la contrainte *Attaque Fortis Rad.{ _Coda} : par ex. le same et le live, chacun d’une manière originale, en misant sur une corrélation de coupe syllabique, le vepse en la contournant, à tel point que c’est même la notion même de contrainte qui s’avère insuffisante. Une autre piste de recherche s’offre à l’analyse à l’aide des notions de gabarits (séquences CVCV, sans coda, autrement dit ANAN – Attaque-Noyau – conçues comme chaînes non marquées, saturables par des éléments phonologiques ou laissés vides, tout en observant des conditions strictes d’adjacence), de toile pleine et de toile vide dans les gabarits. Les représentations que cette modélisation permet de dégager mettent ainsi en valeur des canevas flexionnels à la fois différents selon les langues, et cohérents en tant qu’alternatives à la concaténation triviale supposée par le type « agglutinant ». A ce titre, ces langues falsifient – voire infirment – la notion même d’agglutinance : tout se passe comme si, loin d’être un procédé optimal pour les morphologies flexionnelles concaténatives, l’agglutinance était en réalité un procédé pauvre, en termes de stratégies de construction de paradigmes flexionnels dans les langues. Pourquoi et comment les langues mentionnées ont-elles opté pour des procédés alternatifs – des procédés riches, qui font contraster les éléments de la toile segmentale et infra segmentale – pour développer leurs systèmes flexionnels ? A ce titre, la morphonologie de ces langues finno-ougriennes périphériques que sont les langues fenno-same, apparaît comme un prisme typologique à valeur heuristique pour connaître l’économie des procédés de construction des paradigmes en morphologie flexionnelle dans les langues du monde.