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« Réseau dialectal, trame et tropismes typologiques : les gutturales, glottales et dorsales en q’anjob’alien » (2009)

en co-rédaction avec Vittorio dell’Aquila, Grenoble, Géolinguistique 11, pp. 51-117

Depuis qu’encore récemment, Bernd Kortmann (Kortmann & al. 2004) a proposé d’opérer une synergie entre dialectologie et typologie linguistique, il est apparu plus que jamais évident que ces deux disciplines des sciences du langage étaient bien plus complémentaire que ne le laissait croire leur vie séparée. Or paradoxalement, la synergie que propose Kortmann et ses collaborateurs, se fonde empiriquement bien plus sur la morphosyntaxe que sur la phonologie, pourtant réputée le domaine de prédilection des phénomènes dialectaux. On ne peut que se réjouir et admirer le tour de force qui a consisté à refonder la dialectologie dans ses relations avec la linguistique générale en renouant, de manière stratégiquement judicieuse et fertile, l’un de ses domaines pilotes – la typologie linguistique. Mais le champ reste ouvert, hors d’une dilution de la perspective dialectologique dans un traitement des données dialectales à l’aide de modèles puissants capables de rendre compte de tout fait variant, tels que la Théorie de l’Optimalité, ou OT (Kager 2001) , pour faire de la dialectologie un champ d’analyse indispensable à la typologie linguistique. De manière prosaïque, nous dirons même qu’une dialectologie typologique est à la typologie linguistique ce que les commandes de réglage sont à un objectif d’appareil photographique : sans elles, l’image obtenue de la réalité risque de rester floue et de qualité médiocre, voire méconnaissable sinon fausse. Le linguiste, issu de la tradition des grammairiens de l’antiquité, des rhéteurs du Moyen-âge, des naturalistes et comparatistes du XIXème siècle, des philologues au service de la langue nationale et du thésaurus des cultures nationales, ou encore des missionnaires et des colons , a décidément du mal à adopter une vision multiplexe des faits de langue. Il préfère fonder ses observations sur des monades – des langues, dans son esprit et dans son environnement socioculturel nettement individuées –, que sur des complexes dialectaux. La cartographie des structures typologiques des langues du monde n’étant encore qu’à ses premiers pas en ce début de deuxième millénaire, il pourrait certes difficilement en être autrement. Or le champ reste ouvert, et le besoin bien réel, d’une approche typologique moins monadiste (une langue et une seule comme échantillon représentatif d’une branche de Stammbaum ou d’un domaine linguistique), davantage multiplexe (non pas une langue, mais un macroréseau dialectal de cinq à dix langues tout entier pour chaque unité de l’échantillonnage), visant d’emblée au relativisme, à la granularité, à la multiplicité des options structurales. C’est ce que nous proposerons ici : partir de réseaux dialectaux pour en décrire la trame typologique, et envisager à travers l’observation des tendances typologiques, parfois cohérentes, parfois contradictoires, des tropismes typologiques – autrement dit, des tendances plutôt que des faits discrets étanches à toute variation. Pour ce faire, nous concentrerons notre analyse sur des catégories phonologiques particulièrement intéressantes par leurs conditions de marquage relativement hautes : les sous-classes naturelles de gutturales (uvulaires), de glottales et de dorsales, ainsi que les noyaux syllabiques dits « complexes », d’expression [GO] ou Glotte Ouverte (explosion glottique : Vh) et [GF] ou Glotte Fermée dans des langues mésoaméricaines . Notre choix se portera sur des faits dialectaux mayas q’anjob’al, dans la mesure où ces langues constituent un carrefour typologique au sein de la grande dyade qui oppose le maya oriental (langues quichéanes et maméanes) au maya occidental (langues cholano-tseltalanes, yucatécanes, tének) dans le Stammbaum des mayanistes. Si l’on tient compte que les langues cholanes (chol, chontal, ch’orti’) participent, comme nous venons de le mentionner, à un ensemble cholano-tseltalan, lui même rattaché au q’anjobalan, le réseau dialectal q’anjob’alien constitue même l’un des groupes les plus ramifiés, les plus fédérateurs et les plus étendus à la fois de toutes les langues mayas. Il se trouve que l’association de linguistes mayas OKMA (Oxlajuuj Keej Maya’ Ajtz’iib’) a publié au début des années 2000 une série d’importantes monographies dialectales des langues mayas du Guatemala (pour les ensembles k’iche’, mam, poqom), dont deux volumes entièrement consacrés au réseau dialectal q’anjob’alien : Variación dialectal en Q’anjob’al et Variación dialectal en Popti’. Ces volumes, qui décrivent la variation dialectale dans toutes les composantes – phonologie, morphologie, syntaxe, lexique – selon un modèle unitaire permettant de comparer les mécanismes de variation entre réseaux dialectaux mayas, offrent en fin de volume des listes de Swadesh dans plusieurs localités. Nous avons donc informatisé ces listes, et une fois formatées comme base de donnée – c'est à dire sur lignes et colonnes – on les a simplement visualisées sous forme de carte. Les mots contenus dans chaque colonne (l'un sous l'autre) sont automatiquement ventilés et rendus visualisables sur la carte à côté du point qui représente la localité prise en considération.