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« Processus mimétiques et diversité microdialectale : diffusion des normes en poitevin nord-occidental – La boite de Pandore » (2008)

Modes langagières dans l’histoire. Processus mimétiques et changements linguistiques, colloque organisé par Gilles Siouffi (IUF-Montpellier 3), Université Paul Valéry Montpellier 3, Juin 2008. Sous presse

Les atlas linguistiques livrent aux linguistes une grande quantité d’informations sur les lexiques et les grammaires des dialectes, avec une granularité fine, mais la connaissance des processus de diffusion de variantes, notamment le jeu d’expansion des normes par propagation mimétique, reste purement spéculative. On dispose de théories inventives et élégantes en géolinguistique, comme celle des foyers de rayonnement à partir de centres urbains directeurs ou de carrefours logistiques (comme Carhaix en Bretagne, selon la théorie de Falc’hun), toutes deux inspirées du modèle de diffusion centrifuge-centripète (Ascoli, Bartoli). On sait également l’importance du phénomène de la diffusion lexicale (Chen & Wang 1975), le poids des réseaux sociolinguistiques dans l’histoire (Lodge, 1997, à partir de la théorie de Milroy, 1980). Il n’en reste pas moins que ces considérations font souvent figure d’explications a posteriori ou ad hoc, sans cette immersion dans le terrain et l’observation in situ qui ont permis à la sociolinguistique d’un William Labov et d’une Lesley Milroy d’utiliser les notions de réseau et de normes de manière aussi convaincante, sur des terrains précis, avec une bonne connaissance des locuteurs, de leur environnement sociolinguistique et de leurs pratiques langagières. Or, on ne recense dans le domaine d’oïl que très peu d’études prenant ces facteurs en compte (hormis Auzanneau, 1998 et Encrevé, 1967).

Nous tenterons dans cette contribution de rendre compte de la diversité dialectale du poitevin nord-occidental maraîchin et insulaire d’un point de vue microdialectologique en basant nos analyses sur des données de langues recueillies à diverses époques par différents observateurs dans le Marais nord vendéen et dans l’île de Noirmoutier. Nous confronterons ces données de seconde main (dont Svenson, 1957) à celles recueillies de première main à quelques dizaines d’années d’intervalle, en tentant de détecter les variables phonologiques susceptibles de s’être répandues dans la zone en question par mimétisme au cours des deux derniers siècles, voir au-delà. Cette approche implique d’assumer que les dialectes d’oïl, loin d’avoir toujours, ou du moins de très longue date été des sujets subordonnés et passifs de la diglossie, ont bel et bien connu une intégration horizontale, parallèlement à l’intégration verticale marquée par le processus d’assimilation – dont le processus de « francisation », ou de dédialectalisation progressive de ces parlers est généralement mieux connu. En effet, on connaît bien les procédés de francisation et de relexification des dialectes d’oïl par la norme centrale ; on connaît moins bien la logique de diffusion par chaînes de normes de variantes mimétiques pour des variables définies en termes laboviens (cf. Labov, 1973).

La zone choisie comme étude de cas est d’autant plus intéressante qu’elle est géographiquement marginale (elle n’est donc pas un carrefour logistique comme Carhaix en Bretagne), et semble bien dépourvue de centre urbain directeur (si ce n’est Challans, dont nous verrons que l’influence est faible). Pourtant, elle présente une diversité de normes aussi bien que des processus de diffusion internes tout à fait discrets et repérables.

Ce faisant, nous ouvrirons une boite de Pandore, pour deux raisons : a) il ne suffit pas de montrer que les parlers d’oïl n’ont cessé d’évoluer dans une dialectique d’unification et de diversification, parallèlement à leur assimilation structurelle par le lexique et la grammaire du français central. Il faut encore pouvoir estimer quand et comment se sont produits les phénomènes d’interaction mimétique les plus probables ; b) notre étude de cas nous permettra de détecter des traces d’interactions mimétiques dans l’aire dialectale observée, mais en quoi et comment ces interactions mimétiques ont-elles pu être des « modes » ? Quelles conditions sociolinguistiques ont-elles pu agir comme des « modes » ? Cette deuxième question – qui rappelle l’échelle d’indices catégoriels des normes proposé par William Labov, d’indicateur, marqueur et stéréotype –, nous conduira à proposer une échelle d’interactions mimétiques possibles dans un espace dialectal, dont la « mode » n’est qu’un des termes, ou des pôles, d’une polarité complexe. Nous verrons, en nous basant sur des attitudes issues d’une enquête de la dialectologie perceptive effectuée sur place, qu’il convient de démêler la dialectique entre variantes attractives (générant des « modes ») et variantes répulsives (incitant certaines variantes d’une variable phonologique au recul), et que les premières ne se conçoivent pas toujours indépendamment des secondes, par effets en chaînes.